Shiro Kuramata

1934-1991, 

Japon

Shiro Kuramata (倉俣史朗) est un designer japonais se jouant des conventions, menant le design japonais sur la voie de l’abstraction intellectuelle. Né à Tokyo, il fait partie d’une nouvelle génération de designers brillants qui révolutionne le design d’après-guerre. Qualifié de minimal, son design est bien plus complexe et joue sur les oxymores.

Révolutionner le design japonais

Alors que ses premières amours, non encouragées, le menaient sur la voie de l’illustration, Shiro Kuramata se lance finalement en ébénisterie à la « Tokyo High School of Industrial Art » entre 1950 et 1953 avant de travailler au sein de la « Teikoku Kizai Furniture Factory » (Arakawa-ku). C’est lors de cette dernière expérience qu’il découvre le design et décide de s’y consacrer. En 1955, il débute alors un cursus au sein du département de design intérieur de la « Kuwasawa Design School ». En 1965, il lance sa propre agence, le « Kuramata Design Office », à seulement 31 ans.
Durant sa carrière riche et éclectique, il tend à l’intellectualisation tant du processus que du rendu du design. Centré sur le mobilier et l’aménagement d’espace, il a fait quelques réalisations dans le domaine de l’architecture, dont il reste malheureusement peu de vestiges. À l’apogée de sa carrière, dans les années 1980, il collabore avec le célèbre styliste Issey Miyake (1938-2022) pour l’aménagement de ses boutiques : il en réalise plus d’une centaine à travers le monde, chacune d’une radicalité stupéfiante.
Aux côtés de son ami et d’une nouvelle vague de créateurs japonais de tous horizons, du réalisateur Akira Kurosawa (1910-1998) aux architectes Arata Isozaki (né en 1931) et Tadao Ando (né en 1941), il participe grandement à forger une nouvelle identité japonaise et à la faire rayonner : ils remodèlent ainsi la vision du monde sur le Japon.
Le design de Shiro Kuramata, mélangeant minimalisme, poésie et post-modernisme, s’exporte partout : il travaille ainsi avec de nombreux éditeurs internationaux comme ses collaborations avec les maisons italiennes Cappellini et Memphis le prouvent.

Design minimal : les opposés s’attirent

Son design reflète l’atmosphère d’innovation qui règne au Japon après la Seconde Guerre Mondiale. Souvent qualifié de minimal, à raison, son travail mérite cependant de plus amples observations. Jouant sur le visible et l’invisible, Shiro Kuramata délivre des pièces complexes basées sur l’attraction des opposées, créant à partir de concepts antithétiques.
Ingénieux, il manie les matériaux de façon non conventionnelle et mène des recherches tant sur les formes que les couleurs dès les années 1970. À travers des combinaisons de surface et d’incroyables assemblages, il prouve sa profonde connaissance des matériaux. Fasciné par la transparence et la lumière, son design repose sur des équilibres subtils et une utilisation dynamique des avancées technologiques comme son utilisation du Photobond 100 le prouve. Du maillage d’acier de son « How Hight The Moon » (1986) à l’acrylique de sa « Glass Chair » (1976), il joue avec les pleins et les vides livrant ainsi un design tout en oxymore, déroutant les utilisateurs·trices.
Ses réflexions sur la gravité et l’immatérialité sont nodales dans son œuvre : toute sa vie, il a cherché à échapper à l’apesanteur. C’est à travers son design qu’il a tenté de s’extraire de cette composante physique essentielle. Inspiré de l’art conceptuel d’un Donal Judd (1928-1994), ses créations sont visuellement captivantes. En quête spirituelle de l’immatérialité, son œuvre se situe à la frontière entre art et design : il propose une synthèse intéressante entre l’art occidental et la culture japonaise, comme aime à le rappeler Issey Miyake.
Puisant dans son histoire et ses convictions, il livre une œuvre référencée qui aujourd’hui encore fascine par son audace : sa « Glass Chair », hommage au film « 2001, l’Odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick (1968) ou son iconique assise « Miss Blanche » (1988), avec ses fleurs en suspension dans l’acrylique, ode à Blanche Dubois dans « Un tramway nommé désir » (Elia Kazan, 1951), ne sont que les symptômes de l’esprit irrévérencieux de Shiro Kuramata.

De ses cabinets dansants à ses assises aux confins de la matérialité, Shiro Kuramata est un designer des limites. Conceptuel et poète, il livre un design épuré et ludique qui questionne tant par sa forme que son fond. Installé à Paris dès les années 1980, il reçoit le titre de Chevalier des Arts et des Lettres en 1990. Son design est jeu permanent : il n’est jamais ce qu’il parait être, une découverte perpétuelle, remettant en question tous les présupposés. 

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