1903-1999,
France
Charlotte Perriand est une créatrice française dont l’importance est capitale dans les domaines du design et de l’architecture. Longtemps effacée de l’équation par les hommes de son entourage, elle est pourtant l’une des figures tutélaires de la Modernité au XXe siècle : sa maxime, « l’important ce n’est pas l’objet, mais l’homme », reflète parfaitement son engagement. De ses tables de formes libres à ses bibliothèque nuages, toutes ses créations sont organiques et fonctionnelles.
Diplômée de l’École de l’Union Centrale des Arts Décoratifs, elle prend un appartement-atelier dans le quartier de Saint-Sulpice à Paris où elle installe son très en vue « bar sous les toits ». Ses participations répétées et remarquées aux Salons des Artistes Décorateurs parachèvent de faire sa renommée. Elle intègre alors l’agence la plus en vogue et chantre de la Modernité, les bureaux de Le Corbusier (1887-1965) et Pierre Jeanneret (1896-1967) : elle y crée notamment du mobilier en métal tubulaire, désormais devenu des icônes, à l’instar de la chaise longue B306 (LC4) ou le fauteuil pivotant LC7, mais ne fut longtemps pas créditée pour son travail, à une époque bien peu propice à l‘épanouissement professionnel des femmes, notamment en architecture.
Rare femme à se faire une place, elle crée selon les nouveaux codes de la Modernité, autant dans les formes que les matériaux, et sa présence dans les cercles influents prouvent son importance. Membre fondateur de l’Union des Artistes Modernes (UAM), elle prône une dimension humaine du design en adéquation avec la fonction, avec du mobilier en métal et en bois, inspiré de la nature. Elle est représentée par l’une des galeries les plus importantes de l’Après-Guerre, Steph Simon, qui expose ses œuvres dont les lignes épurées et les volumes réduits à l’essentiel font sensation : tables de forme libre, bibliothèques alliant bois et tôle, chaises en osier et bois, luminaires en métal, elle s’illustre dans chaque domaine.
Loin de travailler uniquement pour l’élite, elle s’implique dans des projets d’envergure, destinés au plus grand nombre. Son travail d’édition avec L’Équipement de la Maison met en avant un mobilier en bois simple et fonctionnel. Elle participe à l’aménagement de logements étudiants à la Cité Universitaire de Paris avec Jean Prouvé (1901-1984), dont sont issues les iconiques bibliothèques des maisons du Mexique et de la Tunisie. Sa renommée vient aussi de ses apports majeurs à l’aménagement de grands complexes de loisirs de sports d’hiver comme Les Arcs ou Méribel.
Sa relation avec le Japon est sans doute l’une des plus importantes pour comprendre son œuvre. Grâce à l’impulsion de son ami Junzo Sakakura (1901-1969) qu’elle avait rencontré chez Le Corbusier, elle est invitée en tant que conseillère culturelle auprès du Ministère du Commerce et de l’Industrie en 1941. Elle découvre alors la culture japonaise, ses traditions, son mobilier et le travail artisanal. Son impact sur le design japonais est immense mais la réciproque est tout aussi vraie : elle remplit ses bagages d’un style de vie épuré, de lignes souples inspirées de la nature où l’art et le quotidien ne sont pas antithétiques. Elle se met à créer des œuvres à la mode japonaise, à mi-chemin entre industrie et tradition.
Elle se rend au Japon plusieurs fois et finit même par s’y installer quelques temps. Elle compte parmi ses amis les designers les plus importants, au premier rangs desquels Sori Yanagi (1915-2011) ou encore Isamu Kenmochi (1912-1971) ; elle gravite dans les milieux influents, travaille avec des artisans – dont elle fait parfois plus que s’inspirer (voir Ubunji Kidokoro) -, aménage des espaces pour ses amis et monte d’importantes expositions comme sa « Proposition d’une synthèse des Arts » à Tokyo en 1955.
Charlotte Perriand délivre un design puissant et sensuel, reconnaissable au premier coup d’œil, dont la beauté est centrée sur la souveraineté des formes simples. Longtemps mise de côté dans l’histoire du design – comme de nombreuses femmes – et absorbée par la notoriété de Le Corbusier et Jean Prouvé, son œuvre est pourtant capitale : les travaux menés par Jacques Barsac ces dernières décennies et les expositions successives à travers le monde, dont la dernière à la Fondation Louis Vuitton à Paris en 2019, ont permis de remettre sur le devant de la scène la personnalité de Charlotte Perriand, son histoire et ses créations.